Ça y est ! Alain-Guillaume Bunyoni n’est plus Premier ministre depuis mercredi. Il vient d’être remplacé par Gervais Ndirakobuca. La remise et reprise entre les deux hommes a eu lieu ce jeudi au palais présidentiel Ntare House. La cérémonie de prestation de serment s’était déroulée mercredi devant le chef de l’Etat et les deux chambres du Parlement réunies. Une bonne chose, pour l’opposition, tandis que les défenseurs des droits humains, eux, restent méfiants.
Les choses sont allées vite, très vite depuis la soirée du mardi 6 septembre. A ce moment, il était impensable que le lendemain, c’est-à-dire l’après midi de mercredi, le lieutenant-général de police Gervais Ndirakobuca, allait prêter serment devant le président de la République, comme nouveau chef du gouvernement burundais.
La cérémonie a eu lieu après une séance d’approbation de sa candidature par les députés et les sénateurs. Les deux chambres ont approuvé, séparément, à main levée à 100% des voix, le nom de Gervais Ndirakobuca soumis par le chef de l’Etat.
Pourtant, la veille au soir, quand ils ont reçu l’invitation pour une réunion d’urgence tôt le matin du lendemain, l’ordre du jour n’avait pas été précisé aux élus. Certes, depuis quelques jours, des bruits de changement au plus haut sommet de l’Etat couraient, mais de là à penser…
Et la surprise fut totale pour tout le monde. Même pour les députés, à qui le président de l’Assemblée Nationale avait pris la précaution d’intimer l’ordre de ne pas poser de questions sur les raisons de cette procédure.
Cette désignation signait de fait la destitution d’Alain-Guillaume Bunyoni. Une décision intervenue une semaine après les menaces d’Evariste Ndayishimiye de mettre à la porte ceux qu’il a ironiquement qualifiés de super puissants au sein du pouvoir. Et la surprise est d’autant plus grande pour beaucoup parmi les Burundais qui ne s’y attendaient pas, tellement ils s’étaient résignés à la routine de discours pour le moins stériles du même Evariste Ndayishimiye.
La remise et reprise n’a pas non plus manqué d’ajouter du piment à ce processus. Après que le pouvoir ait tenu en haleine de plus de quelques sept heures le public _ la cérémonie initialement prévue à 09h35 s’est finalement déroulée après 16h00 _ le calvaire de l’ex-PM s’est poursuivi jusqu’à l’entrée du palais. A son arrivée, il s’est en effet vu fait attendre de quelques minutes, histoire de lui faire comprendre qu’il devait entrer seul, sans sa garde.
Ce départ d’Alain-Guillaume Bunyoni vient aussi mettre fin au suspense d’un bras de fer qui s’était installé entre ces 2 hommes, le président Evariste Ndayishimiye avait même récemment timidement accusé son Premier ministre, sans le nommer, de planifier un coup d’Etat. Une accusation grave et réprimée par le code pénal burundais jusqu’à la peine de prison à vie.
Le commissaire de police général Alain-Guillaume Bunyoni était parmi les hommes les plus puissants, depuis le régime de Pierre Nkurunziza, et les médias, tout comme nombre d’observateurs, n’hésitaient pas de le nommer ainsi. L’homme est régulièrement cité dans de grands dossiers de malversations économiques et dans les rapports des violations graves des droits humains.
Le président Evariste Ndayishimiye vient finalement de retirer sa confiance à Bunyoni, la décision a en tout cas été bien accueillie par beaucoup de Burundais, jusque dans le camp du parti au pouvoir le CNDD-FDD.
Alain-Guillaume Bunyoni part avec tout son gouvernement. Le parti CNL souhaite de son côté que le nouveau gouvernement soit inclusif, comme exprimé par son président Agathon Rwasa, à l’issue de la séance d’approbation.
A rappeler qu’Evariste Ndayishimiye a annoncé un véritable remue-ménage dans son administration qui, selon lui, visera tous les dignitaires qui se sont rendus coupables de mauvaise gestion de la chose publique, ainsi que ceux jugés fainéants par son pouvoir.
L’opposition appelle Ndayishimiye à accepter de gouverner avec d’autres partis
La coalition de l’opposition CFOR-Arusha salue la décision qu’elle qualifie de légale du président de la République de nommer un nouveau premier ministre. Pour Frédéric Bamvuginyumvira, président de cette coalition, c’est le moment de redorer l’image du peuple burundais. Il conseille au chef de l’Etat de briser le monopartisme et d’associer d’autres acteurs politiques dans le développement du pays.
« Le président de la République ne devait pas se contenter des plaintes publiques alors qu’il avait la force d’agir. Nous lui avions déjà conseillé d’user de toutes les forces politiques à sa disposition, en enlevant les bûches qui alimentent le feu. Que ce soit au niveau constitutionnel ou institutionnel. Parce que le Premier ministre est contenu dans la Constitution, il est proche de l’institution du président, et donc, il fallait qu’il se serve de ce que dit la Constitution et enlève l’obstacle, et je crois que c’est ce qu’il a fait », s’est félicité d’emblée Frédéric Bamvuginyumvira.
Et pour l’ancien Vice-président de la République, Evariste Ndayishimiye doit continuer sur cette lancée pour s’ouvrir aux autres.
« Maintenant, comme il montre l’impression qu’il veut redresser la situation, nous l’avons déjà dit, redresser la situation, c’est aussi s’opposer au comportement de son propre parti. Parce que le CNDD-FDD profite du contexte depuis 2015 pour écraser le peuple burundais. Aujourd’hui, c’est le moment de penser à donner la dignité au peuple burundais. Et il ne peut pas le faire en dehors des partis politiques. Actuellement, le pays est géré par un parti unique. Le monopartisme est un danger pour un pays. Nous lui demandons d’ouvrir le cadre politique aux autres formations politiques, pour qu’il ne continue pas à gérer seul comme un parti unique. Il doit partager le pouvoir, parce que c’est une affaire, non pas d’un parti, mais une affaire de tous. Ensuite, il doit négocier, discuter avec les autres Burundais sur la manière dont le pays doit être géré, pour qu’il puisse entrer dans le vrai développement. Ainsi, ensemble, on pourra aller discuter avec cette communauté internationale pour avoir les appuis nécessaires et développer ce pays. Maintenant, qu’il aille de l’avant. Il a déjà identifié ses obstacles, qu’il nous les montre, qu’il aille jusqu’au bout et enlève non seulement les policiers, mais aussi ces militaires, ces gouverneurs, ces administrateurs, ces chefs de zone, etc., qui essaient aujourd’hui de mener le pays vers le gouffre ».
Bunyoni ou Ndirakobuca, c’est du pareil au même
Sentiment mitigé du côté des défenseurs des droits humains. C’est le cas chez Vital Nshimirimana, délégué général du Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC), pour qui le président Evariste Ndayishimiye a enfin compris qu’il a le pouvoir d’opérer des changements dans son gouvernement. Il estime néanmoins que le poste de Premier ministre n’aurait pas dû être donné à Gervais Ndirakobuca, car il est parmi les auteurs présumés des crimes graves commis au Burundi.
« Le remplacement du Premier ministre Bunyoni est une confirmation par le président Evariste Ndayishimiye, qu’il est l’unique titulaire du mandat présidentiel au Burundi, et qu’à ce titre, il peut nommer ou révoquer qui il veut. C’est donc un changement important, dans ce sens que cela faisait beaucoup de jours que les gens voyaient une sorte de dualité au sommet de l’Etat. Mais ce qui est malheureux, il vient de rater une occasion en or de changer réellement l’image du gouvernement burundais. Il n’aurait pas dû choisir Gervais Ndirakobuca, alias Ndakugarika, parce qu’il est bien connu comme l’un des grands criminels qui ont fait preuve d’un grand zèle dans la répression des opposants et des défenseurs des droits de l’homme depuis 2005. Et à ce titre, rien ne change, parce que les mêmes pratiques de violations des droits de l’homme, de détournements de fonds, de corruption et de persécution de la population, vont continuer. On a vu les agissements de Ndirakobuca quand il était ministre de l’Intérieur, pour les multiples décisions non concertées qu’il prenait. Si c’est donc ce genre de gouvernement que cherche Evariste Ndayishimiye, le peuple burundais ne va alors jamais connaître de répit », a prévenu le défenseur des droits de l’homme.
Photo Illustration : ©presidence.gov.bi