Sécurité

Burundi : Un gouvernement qui saigne ses propres hommes

Publié le 30 avril 2022 par Rédaction

La présence de l’armée burundaise en République démocratique du Congo n’est pas en soi une nouveauté. Mais le rythme effréné des incursions de ses hommes et leurs exactions au sud-est de ce pays depuis quelques mois ne pouvaient passer inaperçu, et encore moins laisser indifférents les médias. Et ce, malgré les dénégations du pouvoir de Gitega ainsi que le secret et le silence qui accompagnent certains faits, parfois d’une gravité qui frôle le scandale. Comme ces soldats qui meurent, non sur le champ de bataille, mais tués sur ordre du gouvernement ! Une enquête signée radio Inzamba Agateka Kawe.

Tout commence au mois de septembre 2021, lorsqu’une position militaire est érigée par l’armée burundaise dans la localité dénommée Kumukaratusi, dans le territoire d’Uvira en République Démocratique du Congo. Ces militaires étaient du 212ème bataillon commando, en opération, quelques temps auparavant, dans la réserve naturelle de la Rukoko. Cette position basée de l’autre côté de la rivière Rusizi aurait eu pour mission d’accueillir d’autres militaires, des Imbonerakure et des agents du Service national des renseignements. Objectif : traquer les rebelles burundais basés à l’est de la RDC.

Selon des sources au sein de ce même bataillon, la dernière fois que des militaires burundais s’étaient établis en RDC remontait à l’époque de feu président Nkurunziza, précisant que, peu de temps avant, il y avait certes eu des mouvements vers cette zone, mais pas une occupation. Ces mêmes sources avaient indiqué qu’ils franchissaient la rivière Rusizi à l’aide de vedettes des forces marines burundaises.

Ces hommes avaient pour mission de mener des offensives contre les rebelles burundais des mouvements RED Tabara et FNL du général Aloys Nzabampema, qui seraient basés dans cette partie de la RDC. Mais, déjà, les populations des localités traversées par ces troupes ainsi que les défenseurs des droits de l’homme locaux commençaient à dénoncer cette présence qu’ils qualifiaient de nuisible. Un député écrit même au Secrétaire général des Nations Unies pour lui demander d’intervenir personnellement, décriant les exactions que les hommes en uniformes burundais commettaient dans les villages qu’ils traversaient.

La FDNB renforce ses positions en RDC mais nie leur existence dans ce pays

Les choses prennent de l’ampleur en janvier 2022, lorsque des centaines de militaires burundais franchissent la frontière burundo-congolaise dans la nuit de jeudi à vendredi. Ils avaient traversé la rivière Rusizi en différentes équipes renforcées par des jeunes du parti CNDD-FDD au pouvoir. Ils rejoignaient ainsi d’autres soldats qui les avaient devancés.

Ces militaires étaient issus du bataillon de la police militaire, sous le commandement du lieutenant-colonel Ildephonse Baranyikwa, du 112ème bataillon d’infanterie du camp Cibitoke, sous le commandement du lieutenant-colonel Désiré Ntihabose et de quelques militaires du 111ème bataillon du camp Gatumba. D’autres militaires avaient été choisis individuellement dans diverses unités.

Nos sources ont précisé que l’effectif qui a traversé la frontière était de plus de 600 militaires qui composaient ainsi un bataillon organique de combat, et des Imbonerakure dont le nombre avoisinait 300, qui avaient été rassemblés dans six provinces.

Ils partaient pour renforcer les militaires du 212ème bataillon, alors fortement affaiblis, parce qu’ils étaient sous le commandement du lieutenant-colonel Nyandwi mort sous les balles des militaires de l’armée congolaise, appuyée par des forces de la MONUSCO. Nos sources ont par ailleurs ajouté que ces combats qui avaient impliqué les militaires du 212ème bataillon basés à Kiliba Ondes, à Sange et à Mutarure, au sud-est de la RDC, avaient duré deux jours, c’est-à-dire les 3 et 4 janvier 2022. Une trentaine de militaires y avaient alors perdu la vie. Leurs corps auraient été acheminés au camp du bataillon DCA (Défense contre avion) passive (de renfort), dit Guantanamo, situé à proximité de l’aéroport international de Bujumbura, et mis dans des containers frigorifiques. Ils ont été amenés à cet endroit par trois véhicules des 11ème, 112ème et 212ème bataillons la nuit du 4 janvier.

Ça commence à sentir le roussi, le gouvernement acculé dément, des militaires font de la résistance et l’irréparable est commis

L’affaire fait de plus en plus de bruit. Ce qui, visiblement, n’arrange pas le gouvernement burundais, surtout que des médias indépendants, dont les radios Inzamba et RPA, ne rapportent que de mauvaises nouvelles de soldats burundais qui meurent par dizaines sur le champ de bataille. C’est ainsi que fin janvier 2022, le ministre de la Défense nationale, Alain Tribert Mutabazi, se fend d’un laconique communiqué dans lequel il nie « toute présence militaire burundaise » sur le territoire congolais, brisant par ce fait, un silence trop pesant.

Mais, pas de bol pour le pouvoir de Gitega. Car des familles de militaires dépêchés clandestinement en RDC commencent à réclamer les nouvelles des leurs, à travers les médias ci-haut cités. Dès lors, dans leurs casernes, les soldats flairent le danger, et décident d’exiger la transparence en cas de sélection.

Et c’est ainsi que l’on apprend qu’un premier groupe de militaires burundais a été froidement abattu.

Les militaires qui ont été tués provenaient des 3ème et 4ème divisions, comme l’ont précisé les sources de la radio Inzamba Agateka Kawe au sein de l’armée. A l’issue du briefing du colonel Jéchonias Nihorimbere, commandant de la 110ème brigade, sur le trajet et leur destination, certains ont refusé d’exécuter cette mission, exigeant d’abord une autorisation préalable de dépassement des frontières, et un ordre de mission clair et conforme au règlement militaire, ont poursuivi les sources.

Ces militaires étaient estimés à 30, soit un peloton. Les soldats ont alors reçu l’ordre d’attendre à la frontière ceux qui viendraient leur donner de plus amples explications sur l’objectif de cette mission en République Démocratique du Congo. C’est alors que se sont présentés des militaires du bataillon police militaire, sur ordre du Service des renseignements militaires (G2). Ils les ont tous exécutés, sans sommation. Les faits se sont déroulés entre le 27 janvier et le 3 février.

Parmi les militaires tués, deux noms ont été portés à la connaissance de la rédaction de la radio Inzamba Agateka Kawe. Il s’agit de l’adjudant-chef Nkeshimana, surnommé Gisisire, du 212ème bataillon commando. Il avait été affecté comme commandant-adjoint de peloton. Il était natif de la commune Gisozi, en province Mwaro. Le second est le caporal-chef Eric Nduwimana, alias Mugomozi, du 111ème bataillon d’infanterie camp Gatumba. Il avait été détaché auprès des militaires en provenance de la 3ème division pour leur servir d’éclaireur. Eric Nduwimana est natif de la province Ngozi.

La tombe du caporal-chef Eric Nduwimana

Les corps de ces militaires ont été jetés dans la rivière Rusizi. Par la suite, des dépouilles ont été repêchées, mais elles ont été présentées comme celles de militaires victimes d’une noyade, ayant péri dans le naufrage d’une vedette de la marine burundaise. Le caporal-chef Eric Nduwimana en faisait partie. Et à l’exception de ce dernier, qui a été enterré par les siens le mardi 4 février, les familles des autres ignorent toujours le sort des leurs.

Nos sources ont en outre fait savoir que parmi les militaires tués figuraient un officier, cinq sous-officiers, et une vingtaine d’hommes de rang.

Les exécutions sommaires de militaires récalcitrants se poursuivent

Selon des informations que la radio Inzamba Agateka Kawe détient au sein du bataillon police militaire, sous le commandement du lieutenant-colonel Ildephonse Baranyikwa, et auprès du Service national des renseignements, jusqu’en mi-février, 11 militaires étaient en garde à vue dans les cellules du bataillon police militaire et dans les cellules du SNR au quartier 10 de la zone Ngagara, en mairie de Bujumbura, pour avoir refusé de participer à des incursions en République démocratique du Congo.

Une des camionnettes, identifiée par des témoins de l’enlèvement des 11 militaires

Ils ont été discrètement extraits de ces cachots dans des heures avancées. Notre enquête a révélé qu’ils ont été embarqués dans trois véhicules : deux camionnettes de marque Toyota et un bus Coaster. Les uns ont été amenés par la quatrième transversale de Nyamitanga en commune Buganda, tandis que les autres ont été conduits vers la commune Rugombo, en province Cibitoke. Ils ont tous été froidement exécutés au bord de la rivière Rusizi dans laquelle leurs corps ont été jetés.

La rédaction de la radio Inzamba a pu identifier quatre noms parmi ces militaires. Il s’agit du caporal-chef Havyarimana du 421ème bataillon, il était gardé dans la cellule du SNR au quartier 10 de la zone Ngagara, première-classe Ndayishimiye du bataillon police militaire, qui était gardé dans le même cachot, le caporal-chef Sindayihebura surnommé Ngeze du 412ème bataillon et le caporal Niyonkuru du 322ème bataillon, tous les deux alors en garde à vue dans les cellules du bataillon police militaire.

Les mêmes sources ont également révélé les noms de certains des officiers et sous-officiers qui ont participé dans ces exécutions sommaires. Ce sont deux officiers : le lieutenant-colonel Ncamurwanko et le lieutenant Hatungimana, et trois sous-officiers : l’adjudant-chef Ndihokubwayo Longin, adjudant-chef Barthélemy Ndayisenga et l’Adjudant Havuginoti alias Sage. Quant aux hommes de rangs, ils provenaient de l’Ecole des renseignements militaires (EMR), située dans les bâtiments de l’ancien bataillon des para-commandos à Musaga, en mairie de Bujumbura.

Tentatives vaines pour avoir le point de vue des responsables militaires

Dans sa démarche, la rédaction de la radio Inzamba a toujours tenu compte de la position de l’armée burundaise sur ce sujet, à savoir qu’elle nie catégoriquement sa présence en République démocratique du Congo. Néanmoins, étant donné que le gouvernement n’a jamais démenti les informations précises des médias, dont la radio Inzamba, qui se sont penchés sur ce sujet, celle-ci a, à maintes reprises, tenté de joindre aussi bien Alain Tribert Mutabazi, ministre de la Défense nationale, que le colonel Floribert Biyereke, porte-parole de l’armée burundaise. Souvent, leurs appareils sonnaient, mais aucun d’eux ne décrochaient.

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