Des personnes vivant de la mendicité se retrouvent encore dans différentes places du centre urbain de Kayanza. Ceci malgré la mesure interdisant cette pratique prise il y a plus d’un mois par le gouvernement. Ces personnes, enfants et adultes, disent qu’elles sont au courant de ladite mesure, mais expliquent qu’elles ne peuvent pas abandonner la mendicité suite à leur invalidité physique et à la pauvreté. Elles demandent plutôt à l’administration et aux bienfaiteurs de leur donner des aides pour leur survie. De son côté, un psychologue estime que c’est un problème qui concerne entièrement le gouvernement. Et pour lui, celui-ci devrait adopter une politique de réinsertion de cette catégorie de personnes.
Le phénomène se généraliserait-il ? Le constat pousse plutôt à le croire. Comme vous avez pu le suivre dans nos éditions de lundi, c’est aussi le cas de la province de Muyinga.
Mais contrairement à Muyinga, ceux qui pratiquent encore la mendicité dans la ville de Kayanza sont en majorité des personnes vivant avec handicap, inné ou acquis, selon leurs témoignages.
Ce mardi, la radio Inzamba s’est entretenue avec trois mendiants trouvés au marché de Kayanza et ses environs. Ces personnes se retrouvent le long des routes, au marché, dans les cabarets et devant les restaurants.
Le premier est un homme de 47 ans dont les membres inférieurs ne fonctionnent pas. Il se sert de béquilles pour se déplacer.
« C’est la guerre qu’a connue le pays qui m’a causé ce handicap. C’était en 1993. Je suis l’unique survivant de ma famille. J’ai une femme et trois enfants et je dois payer le loyer. J’ai dû abandonner mes études et je n’ai jamais trouvé de travail. Dites-moi si j’ai le choix ! », se justifie l’homme.
Le deuxième est un sexagénaire trouvé assis sur les escaliers du marché. Lui aussi, se déplace à l’aide de béquilles : « J’ai perdu l’usage de mes jambes à cause de ma maison qui s’est écroulée sur moi. Mais je dois dire que j’ai eu plus de chance que mon épouse qui est morte dans l’accident. Et je me suis retrouvé à la rue à ma sortie de l’hôpital ».
La dernière personne est une septuagénaire aveugle de naissance. Elle est toujours accompagnée de sa petite-fille pour la guider. « Je suis veuve et je n’ai pas de lopin de terre pour cultiver », se plaint-elle, visiblement sans beaucoup d’envie d’en dire plus.
Dans ces mêmes milieux, quelques enfants de la rue errent, apparemment sur leur garde, craignant sans doute que la police ne leur mette la main dessus. D’où la difficulté de les immobiliser pour les interviewer.
Mais toutes ces personnes disent être au courant de la mesure interdisant la mendicité, mais elles ne comptent pas abandonner cette pratique, étant donné qu’elles sont invalides et indigentes. Elles convergent sur l’idée selon laquelle il faudrait que l’administration et d’autres bienfaiteurs leur fassent des aides.
Suite à cette situation, la rédaction de la radio Inzamba a tenté de joindre par téléphone le colonel Rémy Cishahayo, gouverneur de la province de Kayanza, pour s’exprimer sur le sujet, mais en vain.
Des raisons évidentes poussent ces gens dans la rue
La pauvreté et la maltraitance sont parmi les causes du phénomène des personnes en situation de rue. L’explication est du psychologue Ernest Nkurunziza. La mesure du gouvernement de retirer de la rue tous les enfants et les adultes mendiants, prise en juillet dernier, a été comme un coup d’épée dans l’eau, puisque la plupart de ces derniers ont regagné la rue. Ernest Nkurunziza fait remarquer que les mesures répressives ne suffisent pas pour dissuader ces personnes de retourner dans la rue.
« Les causes de ce phénomène varient d’un pays à l’autre, d’une ville à l’autre, d’une personne à l’autre. La pauvreté, les déplacements dus à des catastrophes naturelles, des conflits ou éclatement de la famille, le décès des parents, la négligence parentale, la violence et la maltraitance, la discrimination, le manque d’accès à la justice, sont autant de facteurs qui contribuent à cette situation. Chaque enfant et adulte se trouvant dans la rue a sa propre histoire unique », explique le psychologue et défenseur des droits de l’homme, avant de marteler : « Dans un pays le plus pauvre du monde, dans un pays de crises politiques cycliques et violentes, dans un pays où les droits de l’homme sont constamment bafoués, dans un pays où l’injustice sociale est une réalité quotidienne, il est indiscutable que le phénomène de personnes en situation de rue sévisse. Ainsi, ce n’est certainement pas par la violence et la répression qu’on peut endiguer ce problème, comme semble le faire le gouvernement du Burundi. L’Etat du Burundi doit d’abord être conscient de sa responsabilité, vis-à-vis de la situation. Il est indiscutablement auteur et coupable de ce phénomène, pour avoir semé et alimenté l’insécurité chronique, les violences d’Etat, la paupérisation, les crises politiques, la haine politico-ethnique, etc. », accuse-t-il, sans ambages.
Pour lutter efficacement contre ce phénomène, Ernest Nkurunziza, psychologue et défenseur des droits humains, appelle les autorités burundaises à créer un climat propice à la réinsertion de ces enfants et adultes.
« Le gouvernement burundais doit se poser la question : ‘’quelle est ma responsabilité en tant que gestionnaire de l’Etat, par rapport à tout ce qui se passe dans mon pays ?’’ et ainsi, trouver toutes les stratégies possibles pour faire retourner le pays dans la paix et dans l’Etat de droit. L’Etat devrait rassembler ces enfants et adultes dans un centre de récupération, d’encadrement, de réinsertion et réintégration. L’on doit écouter l’histoire individuelle de chaque individu pour pouvoir l’aider. Sous l’emprise de la rue, l’enfant est en déphasage avec les valeurs culturelles et les normes sociales ou encore les relations interpersonnelles. Il faut donc l’aider à intérioriser les normes et les valeurs sociales, l’aider à retrouver sa place dans son environnement, dans sa communauté scolaire et familiale. L’enfant tout comme l’adulte doit bénéficier d’une formation professionnelle, en vue de sa réinsertion socioéconomique et communautaire. Au risque de voir ces personnes fuir les centres d’encadrement, ces derniers ne doivent pas être des prisons d’enfermement, mais des lieux de vie, d’amour, de tranquillité, de paix, des endroits saints, qui donnent satisfaction aux besoins élémentaires de chaque enfant », prône le psychologue Ernest Nkurunziza.
Photo Illustration : ©Fondation Don Bosco