Les soldats éliminés sont estimés entre 20 et 30. Ils ont été tués par l’armée burundaise pour avoir refusé d’aller se battre en République Démocratique du Congo. C’était la semaine dernière, sur ordre du lieutenant-colonel Ildephonse Baranyikwa, commandant du bataillon police militaire et du colonel Jéchonias Nihorimbere, commandant de la 110e brigade. Ils ont été froidement exécutés dans le territoire d’Uvira, en RDC. Ces militaires réclamaient la reconnaissance officielle de cette mission, et un ordre de bataille clair, conformément au règlement militaire. Une enquête de la radio Inzamba Agateka Kawe.
Les militaires qui ont été tués provenaient des troisième et quatrième divisions, précisent les sources de la radio Inzamba Agateka Kawe au sein de l’armée. A l’issue du briefing du colonel Jéchonias Nihorimbere, commandant de la 110ème brigade, sur le trajet et leur destination, certains ont refusé d’exécuter cette mission, exigeant d’abord une autorisation préalable de dépassement des frontières et un ordre de mission clair et conforme au règlement militaire, poursuivent les sources.
Ces militaires étaient estimés à 30, soit un peloton. Les mêmes sources font savoir qu’ils ont été ordonnés d’attendre à la frontière ceux qui viendraient leur donner de plus amples explications sur l’objectif de cette mission en République Démocratique du Congo. C’est alors que se sont présentés les militaires du bataillon police militaire, sur ordre du Service des renseignements militaires (G2), et qui les ont tous exécutés, sans sommation. C’était le jeudi 3 février 2022, précisent toujours nos sources.
« L’adjudant-chef Nkeshimana alias Gisisire a reçu l’ordre, avec sa section, d’aller en mission au Congo, mais ce dernier a refusé, arguant qu’il ne peut pas dépasser la frontière sans autorisation préalable. On lui a dit d’attendre. Il a été exécuté avec ses hommes. Nous avons peur nous aussi, face à cette situation », témoigne une source proche du G2.
Parmi les militaires tués, deux noms sont déjà connus par la rédaction de la radio Inzamba Agateka Kawe. Il s’agit de l’adjudant-chef Nkeshimana, surnommé Gisisire, qui provenait de la quatrième division au Sud du pays. Les mêmes sources font savoir qu’il avait été affecté comme commandant adjoint de ce peloton. Il est natif de la commune Gisozi, en province Mwaro. Le second est le caporal-chef Eric Nduwimana, alias Mugomozi, du 111ème bataillon, camp Gatumba. Il avait été détaché auprès des militaires en provenance de la 3e division pour leur servir d’éclaireur, continuent les mêmes sources. Il est natif de la province Ngozi.
Les mêmes sources font savoir en outre que parmi les militaires tués figuraient un officier, cinq sous-officiers, et une vingtaine d’hommes de rang.
Les corps de ces militaires ont été jetés dans la rivière Rusizi. Les corps qui ont été repêchés ont été présentés comme ceux de militaires victimes d’une noyade. Le caporal-chef Eric Nduwimana en faisait partie. Et à l’exception de ce dernier qui a été enterré par les siens ce mardi, les familles des autres ne sont pas au courant du sort des leurs.
Ce drame s’ajoute à l’inquiétude des familles des militaires qui sont en RDC depuis plus d’un mois, alors que l’armée burundaise nie leur présence sur le sol congolais, comme l’atteste un communiqué du ministre de la Défense nationale et des anciens combattants, Alain-Tribert Mutabazi, sorti il y a deux semaines.
La rédaction de la radio Inzamba Agateka Kawe a tenté de joindre par téléphone le colonel Jéchonias Nihorimbere, commandant de la 110ème brigade, le lieutenant-colonel Ildephonse Baranyikwa, commandant du bataillon de la police militaire, ainsi que le colonel Floribert Biyereke, porte-parole de l’armée burundaise, pour qu’ils puissent éclairer l’opinion sur ces faits, leurs téléphones sonnaient, mais ils ne décrochaient pas.
« S’ils ont été tués, les victimes auront gain de cause devant la justice »
Un cadre militaire qui constate un refus d’ordre de son subalterne lui ouvre un dossier disciplinaire et l’affaire est transférée aux juridictions compétentes, c’est-à-dire le Conseil militaire ou la Cour militaire. C’est ce qu’indique Me Méthode Ndikumasabo, ancien officier de l’armée burundaise et spécialiste du droit pénal international. Selon cet avocat au barreau de Bruxelles, si l’exécution extrajudiciaire est prouvée, les auteurs de ce crime doivent répondre de cet acte devant la justice.
« D’une part, le militaire ne doit jamais porter de jugement sur l’ordre reçu. Il doit l’exécuter tel quel. D’autre part, il a le droit d’apprécier la légalité ou l’illégalité des ordres reçus et n’exécuter que ceux qu’il estime légaux. La tendance intermédiaire dominante aujourd’hui est centrée sur le caractère manifestement illégal de l’ordre ne devant pas être exécuté. Si l’on vise spécifiquement les atteintes graves à l’intégrité physique des personnes et plus particulièrement les crimes internationaux graves, par exemple les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le génocide, etc., pour ces crimes-là, le militaire n’est pas excusé lorsqu’il exécute les ordres reçus de sa hiérarchie. Je ne peux évidemment pas me prononcer sur les faits que vous avez relatés dans votre émission, sans avoir eu la possibilité d’entendre les deux parties, ou d’obtenir d’autres preuves. Cela étant, lorsqu’un militaire n’exécute pas un ordre, ses chefs ont le loisir d’ouvrir un dossier, soit disciplinaire, soit pénal. Et dans ce dernier cas, l’affaire est déférée devant les juridictions militaires que sont le Conseil de guerre au premier degré, et la Cour militaire en degré d’appel. Et je peux vous assurer que les peines prévues sont lourdes. Bien entendu, si ces militaires ont été tués pour avoir refusé d’aller en mission hors du pays, la question prendrait une autre tournure. Et sur la base des connaissances que j’ai en cette matière, relatives à des incidents similaires dans le monde, dans des situations politiques proches de celles du Burundi, la justice pour les victimes finit par triompher. C’est juste une question de temps », prévient Me Méthode Ndikumasabo.
Photo Illustration :©EPA/WILL SWANSON