Droits de l'Homme

« Le droit d’hériter pour la femme burundaise n’est pas à l’ordre du jour », dixit Gélase Ndabirabe

Publié le 9 novembre 2021 par Rédaction

Le président de l’Assemblée nationale n’y est pas allé par le dos de la cuillère. Pas question pour les femmes d’hériter, comme leurs frères ou leurs maris. Le numéro un des députés s’adressait en fin de semaine dernière aux chefs religieux de la province Muramvya. Et, selon lui, adopter une loi allant dans ce sens serait une source de zizanie dans le pays. Une position vivement condamnée par le Mouvement Inamahoro des femmes et filles pour la paix et la sécurité. Pour sa présidente, Marie-Louise Baricako, c’est un véritable recul par rapport au pas déjà franchi dans ce domaine.

Selon le président de la Chambre basse du Parlement, les femmes qui plaident en faveur de cette loi ne cherchent qu’à dénaturer la culture burundaise. Selon Gélase Ndabirabe, ces femmes ne sont autres que des citadines et celles qui sont instruites. Il affirme que tout le reste de la population souhaite que les choses ne changent pas, une affirmation qu’il dit basée sur une enquête diligentée par le gouvernement.

« Il y a quelque temps, cette question d’héritage a été beaucoup débattue par certaines femmes de milieux urbains. Mais on s’est rendu compte que ce n’étaient que des femmes intellectuelles qui en parlaient. Et leur intention était de dépraver la culture burundaise. Le gouvernement a essayé de poser la question à la population. Et tout le monde a dit ‘’Non ! Jamais !’’ Ils ont dit que si on met en place une loi qui permettra à la  femme d’hériter dans sa famille, il y aura de graves problèmes. Ils ont dit, ‘’aujourd’hui déjà ils s’entretuent, imaginez alors si cette loi était adoptée’’ », a ainsi plaidé Gélase Ndabirabe.

Ainsi, selon Gélase Ndabirabe, l’heure n’est pas encore venue pour mettre en place une loi permettant à la femme burundaise d’hériter.

« Sur cette question, ce n’est pas parce qu’on n’aime pas nos sœurs, non ! Mais si nous considérons la culture burundaise, ce n’est pas encore le moment d’évoquer la mise en place d’une loi pour elle d’hériter », a-t-il continué à justifier.

Quant aux filles et aux femmes qui ont porté plainte, réclamant d’hériter, le président de l’Assemblée nationale a conclu en leur disant de laisser tomber. Il a demandé que ces dossiers soient traités en tenant compte des lois existantes.

Le discours de Gélase Ndabirabe s’inscrit dans une ligne adoptée depuis longtemps par le pouvoir. Ses propos rappellent en effet ceux déjà tenus par le défunt président Pierre Nkurunziza, qui avait également juré qu’il ne permettrait pas qu’une telle loi soit mise en place.

« Ce droit n’est plus négociable, il faut plutôt étudier le meilleur moyen de le céder », réplique Marie-Louise Baricako

On frôle la colère du côté du Mouvement Inamahoro des femmes et filles pour la paix et la sécurité, qui estime que les propos du président de l’AN ne sont pas acceptables. Pour Marie-Louise Baricako, définir une majorité de la population comme des sans droit est tout simplement ignominieux. Surtout que même la loi fondamentale accorde le droit d’égalité entre l’homme et la femme.

« C’est déconcertant d’entendre un dirigeant de l’organe législatif du pays nier la qualité de citoyens de 52% de la population. Les femmes pour lui n’ont ni place ni droit dans la loi du pays. Il vient en effet de dédire le Burundi, qui, depuis quelques années, a déjà prévu l’égalité homme et femme dans la Constitution, et a déjà adopté quelques lois qui consacrent cette égalité, et prévoit des mesures allant dans le sens de la réalisation de cette égalité. Va-t-il changer ces lois ? Il a parlé de la culture et des coutumes, et je pense que les Burundais savent bien que les femmes respectent bien la culture, la tradition et les coutumes du pays. Cependant, l’honorable Gélase Ndabirabe a oublié que la culture n’est pas statique. Elle évolue avec le temps. Je peux donner quelques exemples. Dans le temps, les filles n’allaient pas à l’école, maintenant, elles y vont. Nous avons été instruites. Deuxièmement, la femme ne prenait pas la parole quand il y avait un homme. Aujourd’hui, nous prenons la parole, et je pense qu’on parle bien ! Et puis, de trois, dans la tradition, l’homme était le pourvoyeur dans la famille. Maintenant que ça a changé, qu’en dit-il ? », a égrené Marie-Louise Baricako.

Mais pour elle, la précision de la cible de Gélase Ndabirabe est encore plus frustrante. Mais, quoi qu’il en soit, prévient la présidente du Mouvement Inamahoro, le président de l’Assemblée nationale et ses semblables perdent leur temps, car il n’y aura plus de marche en arrière.

« L’autre chose qu’il a dite et qui a aussi déçu, c’est que cette question a été posée par les femmes instruites qui cherchent à soulever les femmes et à perturber le pays. Ne sommes-nous pas allées à l’école pour apprendre, comprendre, discerner, voir plus loin et pouvoir aider notre pays ? Aujourd’hui, on va nous discriminer parce que nous avons été à l’école ? Nous parlons de la question d’héritage et je pense que ceci est clair pour tout le monde. Il faut que les femmes héritent au même titre que les hommes. Nous demandons donc aux dirigeants du Burundi de prendre conscience qu’il n’est plus possible de discriminer les femmes et les filles. Qu’ils nous permettent plutôt de les aider, si nécessaire, à chercher ensemble le meilleur moyen d’organiser l’héritage des femmes et des filles, en préservant la société et le bien de la nation. Ça c’est quelque chose qui peut se faire. Mais ne pas le faire n’est plus une option ! » a-t-elle martelé.

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