Le ministre de la Sécurité persiste et signe. Cette fois, il s’est même permis de remettre un député à sa place, après une question sur la mesure de ne laisser aucun bicycle et tricycle circuler dans le centre-ville de Bujumbura et ses environs. Sans prendre des gants, Gervais Ndirakobuca a indiqué qu’il ne compte en aucun cas revenir sur cette décision. Selon lui, ce serait tout simplement rabaisser ceux qui ont eu ce qu’il qualifie de bonne initiative. Le ministre répondait aux questions des députés ce jeudi.
C’est ce qui s’appelle prendre son courage à deux mains. Parce que le député Pascal Gikeke aura tenté le tout pour le tout, dans ce qui a failli tourner à un bras de fer avec le président de l’Assemblée Nationale. Car, oui, Daniel Gélase Ndabirabe aura tout fait pour le dissuader de poser sa question. Mais il en fallait plus pour venir à bout de la détermination de celui qui dit parler pour le peuple.
« Je reviens pour une question que je n’avais pas posée. Je voudrais vous demander l’autorisation de la poser au ministre, parce que je sais qu’il a la réponse. Ce serait bien, parce que si l’on ne peut pas s’exprimer ici, je ne vois pas où on peut le faire. Si vous m’y autorisez, j’y vais directement avec ma question au ministre », demande le député Pascal Gikeke. Après quelques secondes d’hésitation, le président de l’Assemblée Nationale répond : « Si c’est une question sur le rapport, il n’y a pas de problème. Parce que vous le rappellerez pour les questions orales qui ne seront pas basées sur des rapports comme celui-ci. Ceci est un audit ».
Très calme, le député insiste : « Excellence président de l’Assemblée Nationale, nous allons bientôt en vacances parlementaires, la mesure que vient de prendre le ministre sera mise en application en mars, alors que nous reviendrons ici en avril, s’il plaît à Dieu. Et même si nous revenons, je ne pense pas que nous puissions avoir le ministre à notre disposition, alors que la mesure sera déjà en application. Nous avions une requête, au nom des Burundais qui nous ont élus et des habitants de la ville, pour qu’il dise quelque chose ou qu’il calme les choses, ou alors qu’il suspende la décision. C’était cela, permettez que je pose la question. Et si le ministre dit qu’il n’a pas de réponse, il pourra promettre d’y répondre une autre fois ».
Et Daniel-Gélase Ndabirabe qui ne se démonte pas : « Vous, vous disposez de beaucoup de canaux par lesquels vous pouvez accéder au ministre. Aujourd’hui, nous sommes sur un rapport sur la Cour des comptes. Vous pouvez lui demander une audience pour lui poser cette question. Parce que maintenant, vous voulez qu’on entre dans de longs débats. Il a sorti un communiqué, comprenez-le d’abord bien, et ne vous précipitez pas pour dire de sursoir à cette mesure. Ce n’est pas juste. Ce serait chercher un autre débat qui ne cadre pas avec l’objet d’aujourd’hui. Alors, soyez patients, demandez-lui une audience pour qu’il vous explique ».
Mais le député n’entend pas se laisser faire : « Mais Excellence président de l’Assemblée Nationale, nous occupons ces sièges pour parler pour les citoyens. Si nous ne le faisons pas ici, nous ne le ferons nulle part ailleurs. Vous pouvez demander un moment au ministre, mais il est sollicité par beaucoup de monde… ». Mais Daniel-Gélase Ndabirabe ne le laisse pas terminer : « Nous ne reviendrons pas sur cette question. On donne la parole à un autre député ».
Le faux fairplay d’un ministre narquois
Mais, contrairement au président de l’Assemblée nationale, le ministre lui s’est plutôt montré bon joueur. Certes le ton était quelque peu sec, la réponse loin d’être cordiale, mais Gervais Ndirakobuca a tout de même répondu. Et, péremptoire, il a lancé à la face du député que rien, ni personne, ne lui fera jamais changer d’avis.
« Nous ne pouvons pas avoir une ville faite seulement de motos, de vélos, de tuk tuk. Nous devons avoir une ville digne de ce nom. Qu’on aille en ville parce qu’on a à y faire. Il n’est pas question que n’importe qui se dise : « Comme je n’ai rien à faire, je vais en ville ». C’est par là qu’on commence à arracher les sacs des dames dans les véhicules, voler ceux qui viennent des marchés, et ça devient compliqué. C’est une mesure technique, et non une mesure politique », précise le ministre, avant de narguer l’auteur de la question : « Par contre, honorable député, comme vous avez été élu dans la ville de Bujumbura, je voudrais vous demander de l’expliquer aux gens comme telle. Parce que nous avons dit qu’il n’y aura plus de policiers pour se débattre avec une moto ou un vélo. Cette mesure a été requise par des techniciens, ce serait les décourager si, moi le ministre de la Sécurité je dis qu’on suspend cette mesure, non, franchement non. Ce serait leur dire de ne plus rien faire, de ne plus prendre aucune initiative. Alors, je ne m’apprête pas à suspendre la délimitation, non. A partir du 11 mars, plus aucune moto, aucun vélo, aucun tuk-tuk ne sera accepté dans la zone de délimitation, sauf en dehors. Et vous ne tarderez pas d’en voir les résultats dans moins d’un mois, et quand je reviendrai ici, vous m’en remercierez beaucoup ».
Même si le ministre Gervais Ndirakobuca s’obstine à dire que le peuple et ses représentants l’en remercieront, il n’empêche que certains de ses propres subordonnés s’étaient déjà montrés réticents face à cette décision d’interdire l’accès du centre de la mairie de Bujumbura aux vélos, motos et tricycles. Ce fut le cas de la cheffe de zone Cibitoke, mercredi, lors de l’annonce de cette mesure aux administratifs et policiers de l’ancienne capitale. Cette dernière avait alors indiqué que cette décision va beaucoup défavoriser les usagers de ces moyens de locomotion.
Photo Illustration : ©BBC