Un come-back qui n’est pas passé inaperçu. Et c’est le personnel de l’Office national des télécommunications qui l’a appris à ses dépens. Sans passer par quatre chemins, Alain-Guillaume Bunyoni a fait savoir que le gouvernement ne versera aucun rond aux travailleurs de cette société, alors qu’ils réclament quatre mois d’arriérés de salaire. Pour lui, ils n’ont que ce qu’ils méritent, parce qu’ils sont à l’origine de la faillite de la société. Mais le personnel rejette toute responsabilité. Une position appuyée par les experts en économie et du droit qui, tous, donnent le tort à l’Etat.
Un jour que les travailleurs de l’Office national des télécommunications n’oublieront sans doute jamais. Après près d’un mois sans nouvelles, c’est un Alain-Guillaume Bunyoni qui est venu saper leur moral et leur espoir. Catégorique, le Premier ministre a affirmé qu’il n’est pas question de payer les arriérés de salaire et encore moins de verser les cotisations diverses pour le personnel de l’ONATEL. Pour Alain-Guillaume Bunyoni, les doléances du personnel de l’ONATEL sont sans fondement. Il les accuse d’être responsables de la faillite de leur entreprise et ne méritent donc rien.
« Ils ont fait comme s’ils n’étaient pas responsables de la faillite en organisant un sit-in. Qui devrait les payer? Comment se fait-il que l’employé à qui tu as donné le matériel et le salaire revienne pour te réclamer de l’argent? Pourquoi le gouvernement doit les payer alors que ce sont eux qui devraient verser des dividendes? C’est un clin d’œil. On va donc prendre des mesures qui s’imposent et on verra si l’ONATEL continuera d’exister légalement, ou pas. On leur a donné de l’argent pour s’équiper, comment reviennent-ils pour nous demander de l’argent ? » s’est insurgé le PM.
Le personnel de l’ONATEL décline cependant sa responsabilité dans la crise financière de l’ONATEL. Prime Samutoto, membre du conseil d’entreprise, s’est exprimé dans l’émission Mosaïque de la radiotélévision Isanganiro à ce sujet. Il a expliqué que cette faillite est liée au fait que le gouvernement n’a pas su s’adapter à l’arrivée des entreprises privées, qui ont concurrencé l’ONATEL. A côté de cette concurrence, ces entreprises ont progressivement recruté le personnel technique et donc hautement qualifié de l’ONATEL. Ces techniciens ne se sont pas fait prier pour partir par manque d’intéressement à l’ONATEL.
« Les ingénieurs formés par l’ONATEL sont partis un à un dans les entreprises privées multinationales. Et ils partaient avec tous les secrets de notre société et développaient des entreprises privées multinationales », a expliqué Prime Samutoto, membre du conseil d’entreprise.
L’ONATEL compte aujourd’hui plus de 400 employés. Il y a près de trois de semaines, ils ont fait un sit-in devant la direction de l’ONATEL pour réclamer les arriérés de salaire de 4 mois, n’ayant pas été payés depuis avril 2021, soit plus de 10 milliards, y compris les cotisations sociales. Au total, l’ONATEL enregistre présentement une dette de plus de 150 milliards selon son personnel.
L’Etat est 100% responsable de la situation de l’ONATEL
En tant qu’entreprise publique, c’est le gouvernement qui définit son fonctionnement et qui en désigne les gestionnaires. C’est donc lui le principal comptable de la situation de l’ONATEL. Ainsi analyse Faustin Ndikumana, expert économiste, qui suggère à l’Etat de mener des enquêtes approfondies pour identifier la faillite de cette société et éviter de chercher des boucs émissaires.
« C’est le leadership national qui a la vision d’ensemble de l’entreprise, et c’est donc lui qui doit assurer la coordination de l’ensemble du système de gestion de l’entreprise. Sinon un agent du service de comptabilité, même s’il est performant, n’est pas capable de contrôler les failles de la direction commerciale, ou de la direction technique, par exemple. Quand il s’agit d’une entreprise publique, c’est l’Etat qui nomme toutes les composantes du leadership de l’entreprise. Et chaque entreprise publique a un ministère de tutelle qui doit toujours surveiller la gestion de l’entreprise et donner rapport au gouvernement à temps, pour qu’à travers les conseils des ministres, le gouvernement soit informé de la situation des entreprises publiques et puisse prendre des mesures correctives à temps. Le gouvernement disposait aussi de services techniques qui pouvaient l’aider à prendre des décisions, qui agissent comme des consultants. Il y a le SCEP qui est chargé des entreprises publiques, qui pouvait donner des orientations ou des conseils au gouvernement pour prendre des mesures à temps. Il y a l’Inspection générale de l’Etat qui est là pour contrôler la gestion de la chose publique. Alors toute cette panoplie d’intervenants qui n’ont pas su prendre des mesures à temps, ils doivent en assumer la responsabilité. Un temps de redressement doit être pris, et c’est le gouvernement qui doit concevoir un plan de sauvetage de cette entreprise en détresse », analyse Faustin Ndikumana, expert économiste.
Les propos du Premier ministre violent le code du travail
Même son de cloche du côté des experts du droit. De par ses propos, le Premier ministre Alain Guillaume Bunyoni s’est totalement écarté du prescrit du code du travail du Burundi. C’est ce qu’indique Me Janvier Bigirimana, juriste. Pour lui, les arriérés des employés devraient être payés, même si la santé financière de cette société reste fragile.
« La loi prévoit ce qu’on appelle un super privilège de travailleur. C’est-à-dire que les salaires qui sont dus au travailleur doivent être acquittés de façon prioritaire. C’est pourquoi les arriérés des travailleurs devraient être payés quelle que soit la situation de l’ONATEL. Parce que même si la santé financière de cette entreprise publique est fragile, il faut rappeler que le peu de résultats que cette entreprise a pu enregistrer ont été le fruit des efforts de tous les travailleurs. Par ailleurs, on ne peut pas imputer la défaillance financière actuelle de l’ONATEL à tous les travailleurs sans établir la responsabilité individuelle au sein du personnel, parce que la globalisation risque d’être erronée. Il y a un comité de direction, un directeur général et d’autres personnalités qui sont impliquées dans la gouvernance de cette société. On ne pourrait penser en aucun moment que tous les travailleurs ont été impliqués dans la gestion au haut niveau de cette entreprise. La faute ne peut dont pas être imputable à tous les travailleurs. Raison pour laquelle cette globalisation devrait cesser et pourvoir à toutes les réclamations qui ont été formulées par les employés de l’ONATEL, des réclamations qui sont fondées, qui sont conformes à la loi, notamment en ce qui concerne les salaires qui sont la contrepartie d’un travail qui a été fourni », tranche Me Janvier Bigirimana, juriste.