Gouvernance

Recensement sur les équilibres ethniques. Pour quel but ?

Publié le 27 janvier 2022 par Rédaction

Un recensement ethnique pour identifier les agents des institutions publiques et des organisations non gouvernementales internationales va bientôt commencer. Le ministre de l’Intérieur et de la sécurité a adressé une correspondance aux autorités administratives leur demandant de procéder immédiatement à l’opération. Mais celle-ci est unanimement condamnée par l’opposition et la société civile indépendante.

Dans cette correspondance du 24 janvier, le ministre de l’Intérieur et de la sécurité publique indique aux gouverneurs des provinces et aux inspecteurs généraux des institutions étatiques et privées que le recensement ethnique doit se faire le plus rapidement possible.

Selon le ministre de l’Intérieur, ce recensement fait suite à une descente de la commission sénatoriale d’enquête sur le respect des équilibres prévus dans la Constitution au sein des institutions étatiques, para étatiques et les organisations non gouvernementales internationales.

Toujours selon cette correspondance, le ministre de l’Intérieur ordonne qu’une fiche d’identification type du personnel accompagnant cette correspondance lui soit transmise aussitôt que possible.

Ainsi, chaque fonctionnaire doit remplir la fiche avec son nom, son ethnie, sa colline, sa commune, et sa province d’origine, sa fonction, sa date d’engagement, sa nationalité et son téléphone avec signature.

Pour rappel, en novembre 2016, le sénat burundais avait demandé au gouvernement d’organiser un recensement général de tous les fonctionnaires. A cette époque, le sénat avait justifié cette opération par le fait qu’il voulait vérifier si les équilibres prévus par la Constitution burundaise étaient respectés, la même justification avancée donc aujourd’hui par le ministre de l’Intérieur.

L’opposition, outrée, flaire un grand danger

Les équilibres ethniques au sein des institutions doivent s’inspirer de l’Accord d’Arusha qui les a dictés pour établir une certaine justice entre les composantes de la société burundaise. C’est ce que recommande, par exemple, Frédéric Bamvuginyumvira, ancien Vice-président de la République, et un des signataires de cet Accord.

« Je me suis interrogé sur les raisons qui ont poussé le ministre à agir ainsi. Il peut s’être référé à l’Accord d’Arusha qui est la base du partage du pouvoir. Mais ici je rappelle les raisons de ce partage du pouvoir. Compte tenu du constat que le conflit burundais était d’ordre politique, lié au fait qu’il y a eu de l’exclusion dans tous les domaines de l’Etat, il fallait absolument trouver une solution qui convient. Nous avons alors précisé que ce sont les domaines essentiellement politiques et administratifs qui doivent être concernés par cet équilibre ethnique, et non des domaines techniques. Il y a même une loi qui régit et distingue tous ces domaines. Mais aujourd’hui, parce qu’on accorde des postes en fonction de l’ethnie, du parti, ils interprètent les choses comme ça les arrange, juste pour y placer les leurs, même quand ils n’en ont pas les capacités. S’ils ne se ressaisissent pas pour reprendre le chemin que nous avons tracé, le pays va sombrer dans la catastrophe, prévient Frédéric Bamvuginyumvira. L’autre niveau de critique, c’est sur celui qui doit constater ces déséquilibres. Et ce n’est pas le ministre de l’Intérieur. Il est bien précisé que c’est le Sénat qui doit faire ce travail. Celui-ci doit se rendre sur terrain pour le constat dans les domaines politiques et administratifs. Ensuite le président du Sénat donne le rapport au chef de l’exécutif qui est appelé à régler ces questions de déséquilibre après constat », explique l’ancien Vice-président de la République.

« Une décision illégale », selon le FORSC

Même son de cloche du côté de la société civile indépendante. Comme Vital Nshimirimana, délégué général du Forum pour le renforcement de la société civile qui déplore cette mesure qui, selon lui, va à l’encontre de la loi burundaise et ne vise qu’une discrimination ethnique et régionale.

« Tout d’abord, l’on sait que les équilibres ethniques ont été convenus dans le cadre de l’Accord d’Arusha dont le contenu a été versé dans la Constitution du Burundi. Les domaines concernent l’administration publique, les postes électifs du gouvernement ainsi que les corps de défense et de sécurité. Sans parler des lois qui distinguent sans équivoque les postes techniques et politiques. La visée de cette activité entreprise par le sénat du Burundi n’a pas d’explication. Par ailleurs, ce n’est pas la première fois qu’un tel recensement se fait et, malheureusement, le sénat n’a jamais donné d’explication d’une telle démarche ou des résultats recueillis. Chaque fois que de telles actions sont entreprises, l’on craint des manipulations politiciennes et qui devraient déboucher à des discriminations sur la base ethnique, régionale, et ceci doit être dénoncé par de nombreuses voix, y compris la société civile et les syndicats, ainsi que d’autres instances », prévient Vital Nshimirimana.

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