Politique

Un certain “déjà entendu” prend impunément le pouvoir au Burundi

Publié le 14 septembre 2022 par Rédaction

Ces derniers jours, le président de la République Evariste Ndayishimiye a fait de son habitude accuser de hautes autorités de commettre de fautes lourdes. Mais le même chef de l’Etat se garde bizarrement de pointer du doigt les auteurs de ces crimes, et de les traduire en justice, puisqu’il semble les connaître. Au grand dam du public burundais et nombre d’observateurs, dont des experts du droit.

La radio Inzamba revient sur certaines de ces accusations.

C’est devenu une rengaine presque quotidienne. Evariste Ndayishimiye ne cesse d’accuser de fautes lourdes des autorités sans pour autant préciser de qui il s’agit.

L’exemple le plus récent est celui du 2 septembre à Gitega lors de l’ouverture de la rentrée judiciaire. Ce jour-là, il a utilisé un adage pour mettre en garde des personnes qui auraient préparé un coup d’état contre lui.

« Je vous préviens, vous qui vous croyez si puissants. Cessez votre vanité, les temps sont révolus. Souvenez-vous de l’histoire du roi Mwezi, quand son gendre Maconco s’est révolté contre son pouvoir, celui-ci lui avait dit qu’il voulait lui prendre son pouvoir, et puis il lui a volé son chien. Et Maconco n’a jamais donc pris le pouvoir. Mais il croyait qu’avec ses relations avec le roi, il finirait par lui succéder. Et pourtant, le roi lui avait tout donné, il lui avait donné sa fille, mais Maconco, lui, voulait toujours prendre la place du roi. Vous les Maconco, arrêtez la pyromanie ! Car vous n’aurez jamais le pouvoir ! Qui pense pouvoir renverser un général ? Qui est-ce ? Je le combattrai et je sortirai vainqueur, au nom de Dieu », avait alors averti Evariste Ndayishimiye, sûr de son fait.

Et, le lendemain, rebelote, à l’issue de travaux communautaires auxquels il participait.

Juste un peu moins d’une semaine avant, dans une réunion qu’il avait organisée le 27 juillet à Ngozi à l’intention de la diaspora burundaise pro-gouvernementale, le chef de l’Etat avait affirmé qu’il y a des autorités qui exploitent les corps de sécurité pour enlever les gens.

« Qu’est-ce que nous avons beaucoup souffert ces derniers jours pour débusquer un groupe de personnes qui enlèvent les Burundais ! Oui, il y a un groupe qui tue les Burundais, et les gens l’ignorent, au lieu de se lever comme un seul homme pour le combattre. Je suis surpris de voir que ce groupe utilise les corps de sécurité. Dans le pays, il y a encore des assassins. Mais au lieu que les Burundais forment une coalition contre ce groupe, nous faisons une solidarité négative. Quand c’est quelqu’un d’autre qui est affecté, il n’y a aucun souci. Mais l’on oublie que son tour viendra, et que le criminel peut finira par se tourner contre toi », avait-il prévenu, avec une véhémence dont il a seul le secret.  

Pourtant, à travers ses propos, sans citer tous les exemples qui sont foison, Evariste Ndayishimiye porte de graves accusations, comme s’il en connaissait les coupables.

Attention, Monsieur le président ! Car le peuple qui n’a vu jusqu’ici ni les noms des présumés auteurs, ni la moindre intention d’amorcer des poursuites judiciaires, risque de voir vos discours tomber dans une telle banalité et, aujourd’hui déjà, le « bof, nous avons déjà entendu ça » devenu trop courant, reflète le sentiment d’impuissance que vous prêtent tant de Burundais et autres observateurs bien avertis.

« Le président en a des indices sérieux, le procureur général de la République n’a qu’à initier des poursuites »

Le chef de l’Etat devrait agir et décourager quiconque songerait à déstabiliser les institutions du pays. C’est Vital Nshimirimana, ancien président du Syndicat des magistrats du Burundi (SYMABU), qui fait ce clin d’œil.

Pour lui, si les allégations du président de la République sont sérieuses, le procureur de la République devrait immédiatement entamer des enquêtes pour des poursuites judiciaires.

« Des faits de tentative ou de réalisation d’un coup d’Etat sont des faits extrêmement graves. Ce sont des faits réprimés par le code pénal du Burundi, mais aussi par d’autres instruments internationaux, en l’occurrence la Charte de l’Union Africaine sur la bonne gouvernance, les élections et la lutte contre les changements anticonstitutionnels des régimes. Cette charte que beaucoup de pays ont ratifiée, exige que les putschistes soient exclus de toute instance et soient visés par des sanctions extrêmement sévères, pour décourager quiconque s’adonnerait à déstabiliser les institutions démocratiquement élues ou désignées par le peuple par d’autres procédés », démontre d’abord cet expert du droit, avant de revenir sur le cas précis de Ndayishimiye. « Donc à entendre le président Evariste Ndayishimiye, et voir le contexte dans lequel il a prononcé des propos sur des soupçons sur une tentative de coup d’Etat devant un parterre de magistrats, cela suppose que ces allégations sont tellement sérieuses au point de susciter des poursuites immédiates initiées par le procureur général de la République. Il lui revient de le faire immédiatement dès qu’il prend connaissance d’une moindre information relative à ce genre de comportement infractionnel. Parce que la plupart des fois, les faits de coup d’Etat, déjà graves en soi, sont accompagnés par d’autres crimes de sang, ou d’autres violation des droits humains, y compris la destruction des biens ou la vandalisation des propriétés. Donc, que le président de la République se soit permis de lancer ce genre de propos, cela suppose qu’il en a des preuves, des indices très sérieux, et il revient aux autorités judiciaires d’initier des poursuites », fait savoir Vital Nshimirimana, activiste du droit et des droits humains.

 

Photo Illustration : ©Iwacu-Burundi

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